Voici une première contribution inédites sur la philosophie de la technique à partir de la série des Terminator. Il s’agit d’un livre entier, ici en libre accès.
Cet ouvrage a été écrit avec le concours de Nadia Al Salti, Thierry Baubias, Mathias Goy, Tristan Garcia et Raphaël Mobillion. Il s’intitule Terminator – enquête sur un mythe technologique. Les films de la série sont-ils autre chose que des divertissements à succès ? Le cyborg n’est-il qu’un personnage de plus parmi les héros de science-fiction ? Nous voulons montrer ici comment une pensée et une cohérence traversent en réalité ces épisodes. En retrouvant des questions essentielles et en interrogeant notamment les notions de machine, d’identité et de genre, on peut comprendre que c’est toute une mythologie philosophique qui se dessine dans ces films. TerminatorMDubost12052014 Voici le début du livre : « Pourquoi la philosophie devrait-elle s’intéresser au cinéma et plus encore à la série des Terminators ? Son succès populaire incontestable ne nous prévient-il pas du danger propre à toute mode ? C’est ainsi que se pose ici la difficile question des rapports de l’art à la philosophie, en l’occurrence dans un contexte contemporain. L’art n’est-il pas en soi un discours suffisamment autonome pour que la théorisation lui soit toujours extérieure ? Dans le cas du cinéma, cette prétention n’est pourtant pas nouvelle. Car l’image pense, autant qu’elle laisse à penser. Un film recèle nombre de dimensions dont la globalité suggère parfois des interrogations qui touchent l’esprit lui-même. Et lorsque ce questionnement se radicalise pour interroger le sens ou le fondement des choses et de l’existence, alors la formulation philosophique devient légitime et féconde. Elle consiste dès lors à regarder et à lire le film comme un ensemble de questions et d’hypothèses qu’il faut repérer, développer, puis éprouver. L’image cinématographique rencontre alors les penseurs et leurs problématiques anciennes ou modernes de sorte qu’un dialogue et une inspiration réciproque deviennent possibles. Mais l’on peut encore avoir un doute quant à l’intérêt d’une tétralogie telle que celle des Terminators. Car en admettant que l’image pense, il faut reconnaître que certains films y parviennent mieux que d’autres. Réfléchir sur un blockbuster, c’est se laisser contaminer par la culture populaire et marchande à qui on ne reconnaît aucune autre vertu que son 5 divertissement. Il ne s’agirait que d’une série facile, aux mécanismes scénaristiques bien connus et dont la popularité signalerait la médiocrité. Aussi, si la légitimité philosophique d’un film reste selon certains à prouver, il est d’autant plus délicat de rechercher les traces d’un débat conceptuel et les liens de celui-ci aux auteurs reconnus au sein d’une œuvre trop récente et que le public, parfois peu cultivé, a plébiscité. Théoriser à partir d’expressions populaires de la culture passe aux yeux de certains pour une simple curiosité sociologique. Il faut néanmoins admettre que la notion même de culture populaire reste discutable, autant peut-être que celle de culture elle-même. Une telle catégorie est malléable à souhait et renvoie plus à un débat sur la légitimité des références qu’à une véritable valeur. Car le succès d’une œuvre, dans son présent ou son avenir, n’est pas nécessairement l’indice d’une légèreté intellectuelle. Cette popularité pour une série de films s’étendant sur trois décennies suggère que des questions de fond résonnent avec les préoccupations contemporaines. Le plus simple – peut-être même le plus sage – reste alors de réfléchir effectivement son objet, en ne méprisant a priori presque rien. Ce souci est d’autant plus légitime que la science-fiction renvoie au geste philosophique lui-même. Car par tous ses détours temporels, que fait ce genre sinon poser la question de la nature et de l’existence du réel en même temps que d’envisager les conséquences de nos actions ? La science fiction pousse le récit dans ses retranchements tout comme la philosophie radicalise les interrogations. Non seulement la science-fiction nous oblige à envisager d’autres mondes et d’autres vies, mais elle le fait encore en nous renvoyant sans cesse à nous-mêmes et à nos particularités. »