Le langage incarné selon Emmanuel Lévinas
« Dire: me voici. Faire quelque chose pour un autre. Donner. Etre esprit humain, c’est cela. L’incarnation de la subjectivité humaine garantit sa spiritualité (je ne vois pas ce que les anges pourraient se donner ou comment ils pourraient s’entraider). »[1]
La philosophie d’Emmanuel Lévinas se définit notamment par une attention au concret. Dès le départ, Lévinas accuse en effet le lien profond de l’idéalisme et de l’ontologisme[2] ce qui implique, pour une philosophie qui veut s’en distinguer, la nécessité de revenir au concret, à l’exemple de Husserl, de Heidegger, de Wahl ou encore de Rosenzweig.[3]
C’est ce souci qu’exprime la réflexion lévinasienne sur autrui, le langage et le corps. Plus radicalement encore que chez ses maîtres, il ne s’agit plus de démontrer l’existence d’autrui comme s’y essayait Husserl mais d’assumer la dimension son existence[4] pour en dire le mode d’apparition. Et surtout, cette méthode interdit de décrire la rencontre de l’autre en dehors des modalités concrètes de son apparition ou de son avènement, c’est-à-dire en tenant compte d’un rapport au langage et au corps.
En effet, la relation à autrui est d’abord langagière, comme le soutient constamment l’auteur : « Le « je parle » est sous-entendu dans tout « je fais » et même dans le « je pense » et « je suis ». »[5] Et ce « je » n’a de sens que pour et par autrui. Le « je » est là parce qu’il répond à autrui et d’autrui. Il s’annonce dans toute action et dans toute parole parce qu’il est toujours amené à répondre à l’autre, comme un « Me voici ». Affirmer ainsi que le « je parle » est dans toute action ou pensée, c’est donc dire que je suis toujours déjà concerné par autrui, mais aussi que ce rapport à l’autre est toujours déjà langage. Ce n’est pas seulement être responsable, mais dire et verbaliser cette réponse, conformément à l’étymologie du terme « responsabilité ». Etant constitué par l’autre, je suis donc en premier lieu langage pour l’autre. En réalité, cette langue personnelle n’est que le reflet d’une source du sens qui fait la différence du phénomène et de l’événement de l’Autre. Car celui-ci est « expression »[6] et son visage est origine de sens. Le visage dépose une signifiance au-delà de la signification et c’est ainsi, tant depuis son corps que depuis ma responsabilité, que cette relation se comprend en termes de langage et de sens.
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