Phénoménologie de la souffrance – d’une vulnérabilité à l’autre selon Lévinas

Phénoménologie de la souffrance – d’une vulnérabilité à l’Autre selon Lévinas.

Conférence prononcée le 22 avril 2016 à l’université de Fribourg lors du colloque « Lévinas et l’éthique des soins. »

 

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La douleur est un thème récurrent chez Lévinas, mais qui sur un demi-siècle d’écriture se déploie en des directions distinctes voire contradictoires.  Jusque dans les années 1990, Lévinas poursuit cette thématique. Mais alors il ne s’agit plus de dégager à partir du moi les prémisses d’une sortie de soi. C’est à un changement de point de vue que l’on assiste puisque la douleur d’autrui devient également objet de la réflexion.

Jusque dans les années 1990, Lévinas poursuit cette thématique. Mais alors il ne s’agit plus de dégager à partir du moi les prémisses d’une sortie de soi. C’est à un changement de point de vue que l’on assiste puisque la douleur d’autrui devient également objet de la réflexion.

C’est alors que l’auteur synthétise son travail en ce qu’il convient d’appeler une « éthique de la souffrance »[1]. Ainsi, la  thèse explicite de l’article « La souffrance inutile »[2], c’est que la douleur d’autrui donne sens à la mienne: « la crainte de chacun pour soi, dans la mortalité de chacun, n’arrive pas à absorber le scandale de l’indifférence à la souffrance d’autrui. » [3]  De ce point de vue, souffrir, c’est souffrir par, mais c’est surtout souffrir pour autrui[4] : « Cette obligation nous est pourtant familière sous l’événement empirique à l’égard d’autrui, comme l’impossible indifférence (…) à l’endroit des malheurs et des fautes du prochain. »[5]

La peine et la douleur sont présentées comme les lieux de l’absurde dans la mesure où, dans la solitude et l’isolement, rien ne les justifie. Il s’agit d’une passivité particulièrement forte car le sujet se trouve pris dans la douleur sans pouvoir en sortir. La souffrance conduit à l’absurde, au non-sens, au refus et au cri : « Que dans son phénomène propre, intrinsèquement, la souffrance soit inutile, qu’elle soit « pour rien », est donc le moins qu’on puisse dire. » Si le visage est ce qui mène à un « oui » comme source de sens, comme Dire, la souffrance quant à elle pousse à dire « non », « non » à l’absurde. La seule manière d’échapper à cela, c’est d’observer dans ce « non » un « appel originel à l’aide », une recherche d’autrui qui seul peut me sortir de là. L’appel de l’Autre, dans la douleur, fonctionne comme obligation pure.

Toutefois cette thèse n’est pas surprenante dans l’ensemble du corpus lévinassien. Si « L’absolument Autre, c’est autrui »[6], c’est bien qu’autrui donne sens à ma vie, que cette vie soit sans peine ou douloureuse. Sans ce confondre avec la « compassion » au sens courant, elle la soutient et l’explique, impliquée qu’elle est par la relation à l’Autre. Si l’on peut s’étonner qu’autrui, même souffrant, donne sens à ma vie, il ne s’agit dans ce texte que d’une déclinaison particulière de la thèse générale de Lévinas développée au moins depuis Totalité et infini.

 

Retrouvez l’intégralité de cette conférence (format video) et son résumé sur http://www.unifr.ch/iiedh/fr/multimedia/vieillissement-ethique-droit-media/videos-des-colloques/levinas-et-la-souffrance-inutile-video et https://soundcloud.com/iiedh-fribourg/matthieu-dubost-phenomenologie-de-la-souffrance-dune-vulnerabilite-lautre ainsi qu’en version audio en cliquant sur play sur l’icone suivante :

 

[1] Comme l’indique le titre « Une éthique de la souffrance » (1986), entretien d’Emmanuel Lévinas avec Jean-Marc Norès, in Jean-Marie Kaenel, Souffrances, corps, âme, épreuves partagées, 1994, Paris, Autrement, pp. 127-137. .
[2] Emmanuel LEVINAS, « La souffrance inutile » (1982) dans Entre nous. Essai sur le penser-à-l’autre (1991), Paris, Le livre de poche, 1993, pp. 100-112.
[3] Emmanuel LEVINAS, « Paix et proximité » (1984) , dans Altérité et transcendance (1995), Paris, Le livre de poche, pp. 139-140.
[4] Emmanuel Lévinas, De Dieu qui vient à l’idée (1982), Paris : Vrin, 1998, 270 p. (Bibliothèque des textes philosophiques), p 134.
[5] Ibid.
[6] Emmanuel Lévinas, Totalité et infini (La Haye : Nijhoff, 1961),Paris : Le livre de poche, 2000, 347 p. (Biblio essais, n° 4120), p 28.